Évènement

soutenance de thèse

Soutenance de thèse de Henri Salha 

"Raisonner avec les machines : La programmation est-elle une forme de connaissance?"

Directeur de thèse : Pierre Wagner

Résumé

Ce travail propose une interprétation nouvelle de l’effectivité qu’a l’informatique à transformer notre monde humain. Cette interprétation se passe des notions habituelles de calcul et d’information et se fonde plutôt sur l’idée que les investigations, par lesquelles nous résolvons nos problèmes (qu’ils soient théoriques ou pratiques), peuvent être récapitulées en des procédures qui expliquent comment éviter l’effort d’une seconde recherche. Lorsque ces procédures sont exprimées par des règles exactes, c’est-à-dire prédéfinies dans un système, et que celles-ci parcourent exhaustivement l’ensemble des conditions possibles du problème, alors elles sont systématiques et peuvent être programmées. Une partie importante de notre travail est consacrée à l’établissement d’une telle épistémologie, qui interroge en particulier l’histoire de la philosophie sur les notions de savoir pratique, investigation, règle, procédure, machine et système, d’Aristote à Dewey.

L’idée de procédure systématique précède l’informatique; elle est caractéristique de l’approche industrielle du travail, qui le décompose analytiquement en tâches élémentaires et le recompose, soit pour la spécialisation, soit pour l’automatisation. Le fait fondamental ici est la séparation complète de la conception du travail et de son exécution, où tout besoin de jugement doit être aboli. La géométrie, qui construit ses figures et en prouve la justesse par des instructions exactes, en donne le modèle, et inspire la figure de l’ingénieur moderne. En particulier, la machine est tout phénomène dynamique dont l’interaction (en général pauvre) avec son environnement semble pouvoir être décrite systématiquement. Elle est donc le lieu idoine d’exécution des procédures de l’ingénieur.

Il est possible de construire une machine universelle (c’est-à-dire capable d’exécuter des procédures quelconques, du moment qu’elles sont décrites dans un système de règles, quel qu’il soit) dans des contrôles de transmission (système d’irrigation, mécanisme d’horlogerie, circuit électrique, etc.).

Programmer, c’est insérer une telle machine dans une situation afin d’y résoudre un problème. La machine rend une règle effective, c’est-à-dire immédiatement valide dans la situation. Lorsque celle-ci est symbolique (une investigation en cours) la machine non seulement accélère la recherche, mais également lui donne accès à de nouvelles opérations, permet de vérifier le raisonnement, d’explorer des espaces gigantesques de règles, etc. Lorsque la situation est l’expérience elle-même, la programmation permet de rendre dynamiques nos systèmes de règles institutionnels et techniques (par exemple le fonctionnement d’une administration ou d’une usine). Ces deux formes d’effectivité – au sein de l’investigation elle-même, et au sein des cadres institutionnels et techniques de nos pratiques – expliquent les bouleversements qu’occasionne l’informatique dans notre monde humain.