
Séminaire PhilSciCog
Nous aurons le plaisir d'accueillir : Denis Forest (Pr. de philosophie, Université Paris 1 - IHPST)
Titre : Qu’est-il arrivé au canon de Morgan ?
Résumé : L’expression « canon de Morgan » désigne un précepte méthodologique formulé par C. Lloyd Morgan dans le chapitre « d’autres esprits que le nôtre » de son livre An Introduction to Comparative Psychology (1ère édition, Londres, 1894). Selon ce que Morgan qualifie lui-même de « principe de base » dans l’explication du comportement animal, « en aucun cas nous ne pouvons interpréter une action comme le résultat d’une faculté psychique plus élevée, si elle peut être interprétée comme le résultat de l’exercice d’une faculté qui est située plus bas sur l’échelle psychologique ».
Le canon a suscité depuis, et encore récemment, une vaste littérature en psychologie et en philosophie dans laquelle sont débattus d’une part sa signification exacte (on ne peut pas dire sans qualification que Morgan fait de la simplicité ou de la parcimonie une valeur cardinale) et d’autre part son intérêt pour la recherche (Fodor, 1999 ; Sober, 2005 ; Allen-Hermanson, 2005). Un point connexe est plus rarement abordé : pris à la lettre, le canon recommande d’éviter d’attribuer des facultés psychologiques (ou des ressources cognitives) de plus haut niveau pour rendre compte du comportement des animaux non-humains. Or dans divers secteurs de la primatologie, de l’éthologie cognitive ou de l’écologie comportementale, l’attribution à des vivants de capacités cognitives toujours plus sophistiquées, comme d’ailleurs l’attribution de capacités psychologiques de base, va toujours plus loin et semble toujours plus libérale (Gagliano, 2018 ; Chittka, 2022 ; Birch, 2024). Doit-on dire que le canon est tombé en désuétude ? Ou qu’il ne recommande pas ce qu’on croit ordinairement qu’il recommande ? Ou que son interprétation standard est correcte, mais que le cumul des découvertes conduit à en modifier l’usage ? Ou encore que l’« économie morale » (Daston, 1995) de la psychologie comparée s’est transformée, et avec elle ses valeurs, ses buts et l’attitude par défaut vis-à-vis des animaux?
Dans un premier temps, je présenterai les intentions de Morgan lui-même, la manière dont il conçoit la hiérarchie des processus mentaux et dont il comprend le canon et son application dans le cadre de sa philosophie de l’émergence (Doat et Sartenaer, 2014). Dans un second temps, je proposerai une caractérisation de la transformation qui s’est produite en psychologie comparée depuis Morgan, et également de ce qu’on peut appeler dans ce domaine une charité bien ordonnée. Je conclurai en tirant une morale de cet examen du canon de Morgan qui concerne et l’histoire, et la philosophie des sciences cognitives.