An International Journal for Epistemology, Methodology and Philosophy of Science

Max Kistler (éd.), New Trends in the Metaphysics of Science, Synthese 197 (2020), pp. 1841–1846.

Au début du XXe siècle, la philosophie des sciences se définissait principalement par opposition à la métaphysique, prise comme un domaine dépourvu de méthodes rigoureuses, otage de l'arbitraire et du dogmatisme. L'empirisme logique, promu d’abord à Vienne et à Berlin dans les années 1920 et au début des années 1930, préconise l'abandon des théories métaphysiques. Selon l'empirisme logique, la connaissance scientifique est mieux justifiée que la métaphysique car elle repose sur une base solide : l'observation et la logique. Les affirmations métaphysiques, qui ne peuvent être justifiées par l'observation ou la logique, sont considérées comme dénuées de sens. Compte tenu de cette conception de la métaphysique et de la science qui a dominé une grande partie du XXe siècle, il peut sembler surprenant, voire paradoxal, d'envisager une "métaphysique de la science" ou "métaphysique scientifique", dans le but de poursuivre des questions métaphysiques à la lumière de la science contemporaine ou d'interpréter la science contemporaine en termes métaphysiques.

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, il s'est avéré que les distinctions qui ont contribué à justifier la séparation nette entre la science et la métaphysique, c'est-à-dire entre le contenu empirique et la forme conventionnelle des propositions scientifiques, étaient elles-mêmes mal fondées. Il n'y a pas de différence de principe mais seulement de degré entre les énoncés analytiques et synthétiques ; en outre, il est désormais controversé de savoir s'il existe une distinction de principe entre propositions observationnelles et théoriques qui pourrait fonder une distinction métaphysique entre entités "observables" et "théoriques".

Cette évolution explique pourquoi il est redevenu légitime d'aborder les questions métaphysiques à partir de la science contemporaine. Il semble désormais artificiel de séparer l'analyse des outils conceptuels généraux qui sont utilisés dans l'ensemble des sciences, tels que les concepts de cause, loi, objet individuel, processus, mécanisme, réduction, de l'analyse de la structure de la réalité proposée par les sciences.

La première forme qu’a pris ce "retour à la métaphysique" est la conception de l'ontologie développée par Quine : l'ontologie d'une théorie donnée (scientifique ou populaire) est constituée des objets auxquels la théorie est "ontologiquement engagée", c'est-à-dire les objets qui existent si la théorie est correcte.

Mais la métaphysique est plus large que l'ontologie ; si le but de l'ontologie est d'enquêter sur les types fondamentaux d'entités qui existent, la métaphysique explore également les concepts exprimant la structure, la dynamique et l'interaction de ces entités, tels que les concepts de loi, causalité, nécessité et possibilité, et de réduction et d'émergence. En métaphysique des sciences, les deux questions - qu'est-ce qui existe ? et comment les entités qui existent évoluent-elles et interagissent-elles ? - sont abordées à partir de la science contemporaine.

Aujourd'hui, le domaine de la métaphysique des sciences est en plein essor. La portée, les objectifs et les méthodes, et même la possibilité même de la discipline restent controversés. Le dénominateur commun de tous les travaux qui s'inscrivent dans ce nouveau domaine est de poursuivre la métaphysique à la lumière des connaissances scientifiques contemporaines.

Les articles recueillis dans ce numéro spécial ont été présentés lors d'un colloque organisé par l'IHPST (Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et CNRS) qui a eu lieu à la bibliothèque de la Sorbonne, du 16 au 18 décembre 2015, dans le cadre du projet de recherche "Métaphysique des sciences" (ANR-12-BSH3-0009) financé par l'ANR. Ils représentent une partie importante du spectre des sujets couverts par la métaphysique des sciences actuelle. Une partie des articles dans ce numéro spécial aborde des questions fondamentales concernent la possibilité même d'une métaphysique de la science, la nature et le statut épistémique des affirmations faites dans ce domaine, et les critères de leur justification et de leur évaluation. Une autre partie des articles apporte des contributions constructives à la métaphysique de la science, qu'ils concernent la science en général ou des domaines scientifiques spécifiques.